lundi 29 novembre 2010

Conférence ANDRH : « Discriminations et harcèlement, de nouveaux enjeux sensibles pour les DRH ».

Conférence ANDRH : « Discriminations et harcèlement, de nouveaux enjeux sensibles pour les DRH ».

Le jeudi 25 novembre 2010 dernier se tenait à Paris une conférence de l’ANDRH sur le thème « Discriminations et harcèlement, de nouveaux enjeux sensibles pour les DRH ».

La conférence avait lieu dans un cabinet d’avocats spécialisé « employeurs » boulevard de la Madeleine dans le 8è arrondissement (cabinet Simmons et Simmons).

De nombreux DRH des plus grandes entreprises étaient présents.

Je vous donne ici un bref compte-rendu de l’événement.

La conférence était basée sur les définitions juridiques, bien entendu, dont je ne ferai pas ici une recension. Je reprendrai plutôt des faits marquants, liés à l’actualité et au contexte.


Les dossiers de licenciements discriminatoires augmentent


Concernant les discriminations, les deux avocates du département Droit Social de ce cabinet, Me Laurence Renard et Me Claire Le Touzé, qui animaient la conférence, ont notamment indiqué que :


- On constate actuellement beaucoup de contentieux de licenciement discriminatoires.


- La discrimination indirecte existe : par exemple, mettre régulièrement des réunions le vendredi soir à 18h30 discrimine les jeunes femmes avec enfants.


- En projet : les critères de l’apparence physique et de l’adresse d’habitation (quartier) devraient être ajoutés prochainement aux critères actuels qui définissent la discrimination.


- Un nouvel arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2010 a condamné une entreprise dont la DRH avait porté plainte au motif qu’elle était moins payée que ses collègues masculins du Comité de direction, à égalité hiérarchique (Directeur financier, Directeur technique). La DRH n’avait pas attaqué l’entreprise sur le principe de la parité hommes/femmes, mais sur celui de l’égalité de traitement, en se basant sur l’adage « A travail égal, salaire égal », c.à.d. en comparant 2 situations.


- Le principe de l’égalité de traitement risque d’entrainer une suppression de la distinction entre cadres et non-cadres dans le futur. Déjà, une jurisprudence récente a admis qu’il n’était pas justifié d’attribuer des tickets restaurants aux cadres et pas aux non-cadres.


- L’entreprise doit s’appuyer sur des arguments objectifs pour prouver que ses décisions (recrutement, licenciement, non renouvellement d’un CDD) ne sont pas discriminatoires mais fondées sur des critères professionnels.

- Le juge regardera quels critères l'employeur va utiliser pour licencier.

- Pour justifier le licenciement des cadres, l'entreprise peut s'appuyer sur les entretiens d'évaluation qui donnent des éléments objectifs : par exemple, des problèmes de management, le retour négatif des équipes.

" Il faut travailler en amont pour avoir des éléments de preuve, les entretiens annuels sont une mine pour les DRH et les Prud'hommes " ont souligné Me Laurence Renard et Claire Le Touzé, tandis qu'un DRH mettait en garde contre l'instrumentalisation des entretiens d'évalutation dont le but véritable n'est pas de constituer des éléments de preuves contre les salariés.

Il a ajouté que les syndicats conseillent toujours aux salariés de ne jamais signer un entretien d'évaluation pouvant leur porter préjudice.

Une autre DRH a expliqué que tout dépend en effet comment la grille de l'entretien d'évaluation est composée : certains entretiens d'évaluation ont une partie où le salarié peut s'exprimer, d'autres non. Elle a également raconté l'histoire vraie d'une vendeuse d'un grand magasin qui, après son mariage où elle s'était converie à l'islam pratiquant, avait fait théâtralement son entrée dans l'entreprise, à son poste de travail, vêtue du voile islamique intégral, toute en noir de la tête aux pieds, à tel point que l'on ne pouvait même pas la reconnaitre derrière sa burqa !


« Le harcèlement moral est un réel problème en plein développement »


Concernant le harcèlement moral, Me Laurence Renard et Me Claire Le Touzé ont confirmé certains de nos propres constats et ont répondu aux craintes des DRH.

En effet, elles ont expliqué qu’un DRH ou un dirigeant peut se retrouver en garde-à-vue suite à une plainte au pénal d’un salarié pour harcèlement moral. Un DRH présent a notamment témoigné avoir été en garde-à-vue et avoir été condamné à 1€ symbolique de dommages-intérêts il y a quelques années.

De plus, il y a eu un changement des sanctions : depuis le 29 juin 2010 dernier, le harcèlement moral a été aligné sur le harcèlement sexuel (15 000 € d’amende et 1 an d’emprisonnement).


Selon Me Laurence Renard et Me Claire Le Touzé, « le harcèlement moral est un réel problème en plein développement ».


Elles ont rappelé que, dans un arrêt récent, la jurisprudence a considéré que les méthodes de management peuvent créer du harcèlement moral.
Devant les tribunaux (au civil et au pénal) on constate une « envolée des dossiers de harcèlement moral », une véritable « inflation ».


Selon Me Laurence Renard et Me Claire Le Touzé, la loi contre le harcèlement moral se trouve aujourd’hui utilisée systématiquement dans les dossiers par les salariés. « Mettre en place de la prévention aide les entreprises à se protéger, mais ce n’est pas un parapluie » ont-elles ajouté.


Notons que la même augmentation des plaintes de salariés pour harcèlement moral a été constatée par l’Inspection du Travail et par une autre avocate Me Agnès Cloarec-Mélendon, lors de la conférence du MEDEF de la semaine dernière (voir mon post précédent).


La jurisprudence insiste de plus en plus sur l’obligation de sécurité et de résultat qui est exigée de l’employeur. Elle est donc de plus en plus sévère à l’encontre des entreprises en se basant sur ce critère.


En outre, la Halde est régulièrement saisie par des salariés sur des dossiers de harcèlement moral avec discriminations, ce qui a également été constaté par l’Inspecteur du Travail à la conférence du MEDEF.
La Halde instruit uniquement à charge et pas selon le principe du contradictoire (charge et décharge), ce qui aggrave le dossier pour l’entreprise.


Même si elle devrait être bientôt remplacée par une institution commune, le futur « Défenseur des Droits » qui rassemblera plusieurs secteurs (enfance maltraitée, discriminations, etc.), avoir la Halde dans un dossier de plainte d’un salarié est très défavorable aux entreprises.

Selon Me Laurence Renard et Claire Le Touzé, la grande difficulté des DRH est de se retrouver seuls face aux cas de harcèlement moral.
Me Laurence Renard et Claire Le Touzé conseillent aux DRH :

- De faire quelque chose face à un cas de harcèlement moral, de ne pas mettre cela sous le boisseau, sinon ça va empirer.

- D’utiliser la médiation, qui n’est pas assez utilisée, mais qui est une très bonne idée.

- De ne pas rester seuls.

- De s’adresser au CHSCT en tant que partenaire pour mettre en place les médiations, les processus de prévention des risques psycho-sociaux et les processus de lutte contre les discriminations et le harcèlement moral.

- De former le middle management à de meilleurs comportements managériaux en prévention du harcèlement moral.

Me Laurence Renard et Claire Le Touzé ont bien entendu parlé de l’ANI de mars 2010 devenu obligatoire en juillet 2010 : ces conseils sont effectivement ceux indiqués dans le texte de l’ANI.


La perversion dans l’entreprise n’est pas une question juridique


Au cours de cette conférence, je suis intervenue dans le débat pour évoquer le problème de l’augmentation de la perversion dans l’entreprise, et donc dans la société. Car ce phénomène est, avec l’incompétence managériale, la véritable cause des souffrances au travail et du harcèlement.


En effet, pour moi, gérer la problématique du harcèlement moral de façon efficace, ce n’est pas opposer les entreprises et les salariés en deux camps ennemis mais c’est considérer objectivement le phénomène de la perversion au quotidien. Il faut sortir du discours idéologique à la française issu de la lutte des classes des années 70 pour arriver à un discours plus pragmatique qui résoudra les cas de harcèlement.


En réalité, dans les cas de harcèlement moral, les victimes ne sont pas opposées aux entreprises. Non : ce sont les entreprises et les cibles du harcèlement qui sont toutes deux… victimes des pervers manipulateurs !


Bien sûr, les syndicats doivent défendre les salariés et c’est leur rôle démocratique de le faire. Mais si les directions et les DRH considèrent les salariés et les syndicats comme leurs ennemis jurés qui peuvent les envoyer en garde-à-vue pour harcèlement, tout ce petit monde est mal parti pour dialoguer.


Les parties en présence ne parviennent pas à dialoguer entre elles : elles ont besoin d’un intermédiaire. Un coach humaniste et compétent peut alors intervenir en ayant la confiance de tous les acteurs du harcèlement moral dans l’entreprise : direction, victimes, syndicalistes, CHSCT.


Car un avocat n’est pas un coach ou un psychologue : il n’est pas en mesure de discerner les pervers dans l’entreprise, ceux qui harcèlent les autres et qui de plus, font les fausses plaintes en jouant les victimes.
Mais si on les repère, on peut mettre en place la bonne stratégie car le pervers nuit à l’ensemble de l’entreprise, pas seulement à ses collègues. Et il coûte cher.


De plus, un avocat n’est pas formé non plus à résoudre les problèmes de management qui créent du harcèlement…


Un avocat met en marche la machine juridique pour répondre à une question technique. Mais parfois la réponse juridique ne suffit pas…
C’est pourquoi un coach spécialisé dans le traitement des souffrances au travail et du harcèlement moral en entreprise peut aider à démêler le mensonge de la vérité et apporter diverses solutions, notamment des solutions de gestion et de prévention des cas, mais aussi de formation.
Selon moi, un coach bien formé peut (entre autres) repérer les pervers dans l’entreprise et éviter ainsi à celle-ci bien des ennuis.

Il peut aussi travailler en binôme avec l’avocat sur les aspects techniques du Droit, notamment dans les cas de licenciement des pervers manipulateurs. Le pervers narcissique étant incurable, il faut oser s’en séparer.

Pour l’instant, les entreprises ont le réflexe avocat dès qu’il s’agit d’un cas de harcèlement. Mais même ce cabinet employeurs le conseille : il ne faut pas rester sans rien faire et attendre que ça empire. Le DRH éclairé doit travailler en partenariat avec le CHSCT et mettre en place une médiation.
Voici donc des conseils de bon sens, qui feront faire des économies de temps et d’argent aux entreprises. Et surtout qui éviteront aux DRH de se retrouver derrière les barreaux s’ils ne laissent pas pourrir les situations de harcèlement moral.


Qu'est-ce qu'un pervers narcissique dans l'entreprise ?


Lu sur le site d’un psychologue suisse, un excellent portrait du pervers narcissique dans l’entreprise :


http://www.findyounow.ch/forum.php?post=6
(cliquer sur le lien pour lire l'article).


(Cette présentation du pervers narcissique et de ses dégâts dans l’entreprise est très bien mais je ne suis cependant pas d’accord avec l’approche spirituelle de ce psychologue, présentée à un autre endroit de son site car il fait faire de la méditation bouddhiste dans les entreprises. Or le bouddhisme est une religion qu’un employeur n’a pas le droit d’imposer à ses employés, sous peine d’avoir des plaintes et ceci à juste titre.
Donc je ne cautionne pas cette démarche religieuse dans l'entreprise en conseillant ce site, c'est juste que la description du pervers narcissique y est excellente).

Remerciements

Je remercie l’ANDRH et Me Laurence Renard et Claire Le Touzé du cabinet Simmons et Simmons pour cette excellente conférence où leur bon sens a rejoint l’efficacité.

Je signale que notre association ISTHME-Recherches n’est pas une association de victimes pouvant ester en Justice contre les entreprises.

Le but de notre association ISTHME-Recherches est d’instaurer un dialogue entre les entreprises, les syndicats et les victimes (les vraies !) afin de contribuer à résoudre le problème du harcèlement moral et du management immoral, dans le but d’apporter plus de bien-être et de performance dans les entreprises.


Et mon cabinet de coaching œuvre sur le terrain pour accompagner les victimes et conseiller les entreprises ainsi que les CHSCT en ce sens.

Contactez-nous pour toute demande d’information gratuite et sans engagement : Association
isthme.recherches@gmail.com ou Cabinet coachingethique@gmail.com


dimanche 21 novembre 2010

Conférences « Bien –être et performance » au MEDEF Paris

Conférences « Bien –être et performance » au MEDEF Paris le 17 novembre 2010 avec Marie-France Hirigoyen.

Le 17 novembre 2010 dernier, le MEDEF Paris organisait au centre de conférences Microsoft d’Issy-les-Moulineaux, en partenariat avec l’ARSEG, Association des directeurs et responsables de services généraux, une fort intéressante demi-journée de conférences débats avec des intervenants prestigieux.

On remarquait notamment la présence d’une personnalité incontournable : la célèbre psychiatre Marie-France Hirigoyen qui a fait connaitre le harcèlement moral en France à travers ses livres dès 1998 et qui a été à l’initiative de la loi de 2002 sur le sujet.

On le sait moins dans le milieu des ressources humaines, mais Marie-France Hirigoyen a également travaillé sur le sujet des pervers narcissiques dans le couple et sur la relation d’emprise, depuis 2005 où elle a publié un livre sur ce sujet.

Marie-France Hirigoyen sort rarement de sa réserve pour s’exprimer en public sur le harcèlement moral, aussi ai-je fait le déplacement exprès jusqu’à Issy-les-Moulineaux de bon matin en RER pour écouter ce que cette grande spécialiste avait à dire sur le harcèlement moral et son évolution aujourd’hui. Et je ne l’ai pas regretté : c’était très bien.

Il était d’autant plus intéressant pour moi d’aller à cette réunion, que notre association ISTHME-Recherches souhaite sensibiliser les entreprises à l’application de l’ANI sur la violence au travail et le harcèlement, accord qui a été signé par les partenaires sociaux parmi lesquels justement on compte le MEDEF.

Je voulais donc écouter également ce que le MEDEF et les entreprises avaient à dire lors des 4 tables-rondes traitées sous des angles différents : politique, social, environnement de travail et témoignages d’entreprises.

Excellente nouvelle : les discours tenus pendant ces débats rejoignent totalement les positions qui sont les miennes sur le coût économique des souffrances au travail pour les entreprises.

Moins bonne nouvelle en revanche, ainsi que l’a souligné l’un des intervenants à la fin du débat : parmi les participants, seulement quelques dirigeants étaient présents (2 DRH, 1 DSG, etc.) pour écouter les conseils d’experts et les témoignages de leurs pairs. Les autres participants étaient comme moi, des consultants, ainsi que des avocats ou des prestataires de divers services aux entreprises.

De grandes entreprises s’étaient cependant mobilisées pour venir témoigner à la tribune des actions mises en œuvre en interne : Bouygues Télécom, SAP France, Philips, CB Richard Ellis Holding, Agence Spatiale Européenne et Microsoft. Elles étaient représentées par leurs cadres dirigeants qui ont témoigné de leurs expériences en faveur du bien-être dans l’entreprise (DRH, DSG, DG etc.).

Mais dans le public, leurs pairs des autres entreprises brillaient par leur absence, alors qu’ils auraient pu apprendre quelque chose en s’inscrivant à cette passionnante matinée pour la modique somme de 25 €…

Ce qui montre bien que tout reste encore à faire sur ce chantier pour sensibiliser les entreprises. Un simple audit des RSE ne suffit pas : de vrais plans de formation et de prévention doivent être mis en place.

Donc la maigre participation des cadres dirigeants d’entreprises à ce débat m’a quelque peu ouvert les yeux sur la non-inscription des DRH à notre débat ISTHME-Recherches du 14 octobre dernier (« Du harcèlement moral au management immoral : quelles perspectives pour les entreprises et les victimes ? »).


Si le MEDEF lui-même n’arrive pas à faire se déplacer des cadres dirigeants surbookés pour assister à ses événements, c’est compréhensible que nous ayions du mal nous aussi avec notre jeune association !

Tempérons cependant notre enthousiasme sur les actions mises en œuvre par les grandes sociétés présentes à la tribune. En effet, aucune n’a expliqué comment elle avait mis en place l’ANI contre la violence au travail et le harcèlement moral. Aucune des mesures préconisées dans l'ANI, à part quelques formations au management situationnel et aux RSE, n'a été décrite par ces grands témoins.


Les mots « harcèlement moral » n’ont été prononcés dans leurs interventions que par le Dr Marie-France Hirigoyen, l’avocate en droit social Me Agnès Cloarec-Mérendon et l'Inspecteur du Travail Michel Bodin.

Me Agnès Cloarec-Mérendon a mis en garde les entreprises contre les sanctions judiciaires graves si les cas de harcèlement moral ne sont pas traités en préventif et finissent par s’envenimer devant la Justice. Les circonstances deviennent aggravantes en Correctionnelle contre les dirigeants.

Me Agnès Cloarec-Mérendon a expliqué que l’on constate une augmentation actuelle des plaintes au pénal en matière de harcèlement moral et de discrimination pour raisons de santé avec l’intervention de la Halde. Elle a insisté sur la prévention et la formation comme remèdes, en affirmant que de simples mesures cosmétiques auraient un résultat catastrophique.

Soulignons donc le courage du MEDEF pour sensibiliser et mettre en garde les entreprises à l’occasion de cet événement, en osant évoquer des sujets qui fâchent et des mots encore relativement tabous dans l’entreprise.

Une demi-journée très positive donc, réaliste et pleine de bon sens, alors que les entreprises étaient jusque là dans un déni quasi-officiel des souffrances infligées aux personnes et surtout de leurs conséquences désastreuses, comme je l'entends chaque jour à travers les témoignages des victimes qui me contactent pour demander aide, conseils et soutien.

Il ya donc un espoir pour que ça change au sein des entreprises dans les années futures.

Plusieurs grandes idées force se dégagent de cette demi-journée et certaines d’entre elles ont réuni un large consensus parmi les intervenants :

1- Le coût économique des souffrances au travail et du harcèlement moral en entreprise est reconnu officiellement : impact direct sur la croissance et le chiffre d’affaires de l’entreprise et même sur le cours de Bourse au CAC 40, quand par exemple les suicides sont révélés dans les médias. L’atteinte catastrophique à l’image de l’entreprise est la raison pour laquelle beaucoup d’entreprises ont pris des mesures.

Le mal n’est pas rentable, cela fait des années que je le répète et enfin, cette idée commence à être reconnue quasi-officiellement ! (bien que cela ne soit pas dit dans ces termes).

Ces points ont été soulignés par Jean-François Pilliard, Président de la Commission Sociale du MEDEF et par Christian Larose, Vice-Président du Conseil Economique et Social, ainsi que plus tard par l’avocate en droit social Me Agnès Cloarec-Mérendon, en réponse à une question que j’ai posée lors du débat.

Je voulais en effet savoir si les coûts pour les entreprises des souffrances au travail et notamment des suicides avaient été chiffrés en France comme ils l’ont été aux Etats-Unis (24 millions annuels de coût du harcèlement moral pour chaque entreprise des « Fortune 500 », selon l’association WBI).

Donc la réponse est non, il n’y a pas d’étude officielle chiffrée sur ces coûts en France m’a-t-on répondu. Mais aussi bien le représentant du MEDEF que celui du Conseil Economique et Social s’accordent pour dire que ce coût existe. Et que c’est bien ce coût qui a motivé les entreprises à changer leurs façons de faire.

Christian Larose, Vice-Président du Conseil Economique et Social va même plus loin dans sa réponse : « Les rémunérations des managers doivent être basées sur des critères sociaux. Certains managers provoquent des arrêts maladies, des suicides etc., mais ils touchent des rémunérations pharamineuses et des stock options. »

Ces réponses à ma question confirment que le discours humaniste ne suffit pas à convaincre les entreprises sur le harcèlement moral. Il faut toucher les entreprises non pas au cœur mais au portefeuille pour les convaincre de s’impliquer dans un vrai changement de culture en faveur de l’humain.

J’ajoute que le seul chiffre actuel à ma disposition est celui du Ministère du Travail : le stress coûte 70 milliards d’Euros annuels pour l’Etat et les entreprises. Cependant, le chiffre de ce coût pour les entreprises seules n’est pas disponible. D’où ma question.


2- Au lieu de « souffrances au travail », parler de « bien-être au travail », on l’a vu dans l’intitulé de la conférence et cela a été repris par plusieurs intervenants.

Cependant pour moi, c’est une question de sémantique et de politiquement correct : disons-le clairement, ça fait plus chic de dire « bien-être » que « souffrances », mais ça n’empêche pas que les gens souffrent quand même au travail, une remarque qui a d’ailleurs été en partie faite par Marie-France Hirigoyen en personne.

En bref, « bien-être » au lieu de « souffrances » : est-ce de l’euphémisme, du déni ou de la minimisation ? La question reste posée.

Remplacer un mot par un autre ne changera pas grand-chose au fait qu’il faut maintenant réparer les erreurs du passé et surtout (j’ose le dire) guérir les entreprises des conséquences du management par le stress et par la terreur qui a fait tous ces dégâts humains et économiques depuis des années, jusqu’à en arriver à une situation extrême et intenable pour les plus hauts dirigeants eux-mêmes comme pour l’Etat. D’autant que les arrêts maladie, les dépressions etc., creusent le trou déjà vertigineux de la Sécurité Sociale…


3- « On balaye un escalier en commençant par le haut » : les plus hauts dirigeants sont les premiers concernés, ils doivent s’investir dans la prévention et la formation, ainsi qu’améliorer eux-mêmes leurs comportements managériaux.


4- Le manque de dialogue social et la disparition des espaces d’expression des salariés dans l’entreprise favorisent le stress. La souffrance intériorisée s’exprime alors dans des violences contre soi-même (dépressions, suicides) et contre les autres (maltraitance psychologique voire physique).

Au sein d’une société qui valorise le narcissisme, l’image de soi et la satisfaction immédiate, les personnes ont davantage besoin qu’avant d’être valorisées par leur entreprise. Or, c’est le contraire qui se passe, à travers la pression, les humiliations et les erreurs du management par le stress : d’où les réactions extrêmes de dépressions chroniques et de suicides des salariés. Et l’augmentation des plaintes en Justice.

5- L’envahissement des nouvelles technologies dans la vie privée des salariés ajoute à la pression ambiante qui a été mise en place à travers les excès du management par le stress et le travail dans l’urgence : appels sur les téléphones portables et envois de mails pendant le week-end et la nuit ont par exemple été interdits chez Microsoft où une charte, élaborée avec un groupe de 100 salariés volontaires, indique aussi que l’on a un délai de 48h pour répondre à un mail, ce qui enlève la pression de l’urgence. Au bout de 3 ans de communication interne intense, la charte - qui comprend aussi des règles simples sur les horaires de réunions (pas avant 9h30 et pas après 18h) - est devenue la nouvelle culture de l'entreprise.


6- La gestion du stress n’est plus à l’honneur comme autrefois : les intervenants ont tous insisté sur la prévention primaire qui agit sur les causes ainsi que sur les réformes nécessaires dans le fonctionnement des entreprises dont la culture doit être davantage humanisée et centrée sur les personnes « qui ne sont pas des robots ».

Je suis très heureuse de constater que la prise de position en faveur du dialogue de mon association ISTHME-Recherches pour relier tous les acteurs concernés (entreprises, salariés en souffrance et syndicats) dans le but de trouver des solutions ensemble, est la prise de position officielle du MEDEF, telle qu'il l'a illustrée au cours de cette journée.

J’ai soigneusement pris des notes lors des conférences pour vous offrir ici les résumés de certaines interventions.


La journée a d’abord été introduite par Jean-François Pilliard, Président de la Commission Sociale du MEDEF qui a souligné la nouvelle donne des entreprises en faveur du bien-être.

Jean-François Pilliard, Président de la Commission Sociale du MEDEF : « La compétitivité des entreprises ne doit pas se faire contre les salariés. »

« La compétitivité des entreprises ne doit pas se faire contre les salariés. Il y a eu un discours assez excessif et destructeur ces dernières années.
Le MEDEF a créé un guide pour les responsables d’entreprises servant à effectuer un diagnostic sur ces sujets du bien-être, du stress etc. (en ligne sur le site du MEDEF).
Le rôle du MEDEF est de créer un cadre politique par les outils de la négociation et d’intervenir dans le domaine du lobbying. Notre rôle est d’agir en direction des acteurs concernés pour créer un cadre. Un excès de législation et de règlementation peut tuer le vrai sujet. Mais nous devons veiller au suivi et à l’application des mesures prises. »

Puis, Arnaud Robinet, député de la Marne et secrétaire national de l’UMP chargé de l’évolution démographique et de la réforme des retraites, est intervenu à son tour et a fait d’importantes annonces politiques.

Arnaud Robinet, député de la Marne et secrétaire national de l’UMP : « Le Plan Santé au Travail 2010-2014 va être renforcé. »

« Il vaut mieux ne pas parler de souffrances au travail mais plutôt de bien-être au travail, c’est plus positif.
En 2007, les consultations pour risques psychiques sont devenues la première cause de consultations pour risques psychosociaux.
Les Ministères du Travail et de la Santé sont à présent regroupés sous la direction de Xavier Bertrand, ce qui montre l’implication du gouvernement sur ces deux sujets reliés.
La réforme de la Médecine du Travail a été retirée de la réforme des retraites car on lui a reproché d’être un « texte cavalier », mais elle sera présentée à nouveau en tant que projet de loi au Sénat.
Le Plan Santé au Travail 2010-2014 va être renforcé, de nouvelles mesures vont être annoncées par Xavier Bertrand. »

Christian Larose, Vice-Président du Conseil Economique et Social et syndicaliste CGT, a ensuite parlé de son rapport «
Bien-être et efficacité au travail – 10 propositions pour améliorer la santé psychologique au travail – » qu’il a réalisé à la demande du Premier Ministre François Fillon, avec Henri Lachman, Président de Schneider Electric et Murielle Pénicault, DRH de Danone. Ce rapport a été remis le 12 février 2010 au Premier Ministre.

Christian Larose, Vice-Président du Conseil Economique et Social : Le dialogue social dans l’entreprise doit se faire avec les gens, pas uniquement avec les syndicats. »

« Tout d’abord, un constat en quelques points :

1- La situation est grave, le stress se développe, il y a des réels problèmes car la vague de suicides le montre.

2- Il faut aborder le problème par le bien-être et pas par la souffrance, les gens qui vont bien dans leur tête sont plus efficaces économiquement.

3- Il faut régler les problèmes de la Médecine du Travail. Le médecin du travail est dévalorisé, sans lien avec le médecin de ville. Et il doit être indépendant.

4- Il y a un problème de culture d’entreprise : on balaye un escalier en commençant par le haut, donc le patron et les dirigeants sont les premiers concernés.

5- On a poussé la financiarisation des entreprises tellement loin qu’on en a oublié les hommes, et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Henri Lachman, le Président de Schneider Electric !

6- Les problèmes du dialogue social :
- Le dialogue social doit se faire avec les gens, pas qu’avec les syndicats.
- Ceux qui comprennent ce qui se passe dans l’entreprise, ce sont ceux qui sont aux manettes.
- Les espaces de dialogue ont été supprimés : les cercles de qualité des années 80 par exemple, n’existent plus.
- Les gens ont besoin de regarder si leur travail a un sens, c’est pourquoi il faut du dialogue.

Les nouvelles technologies augmentent la pression. Par exemple, dans une entreprise de l’automobile, on s’envoie 20 000 mails pendant le week-end. Les gens reçoivent un mail le samedi soir à 23h et ils doivent répondre à 23h30.

Il faut faire plus attention aux salariés, à leur santé. Et prendre des mesures. Par exemple à Renault Guyancourt où il y a eu tous ces suicides, on a réduit les horaires car il y avait des gens qui commençaient très tôt et qui devaient se lever à 3h ou 4h du matin tous les jours pour venir travailler.

On a trop valorisé la performance individuelle au détriment de la performance collective.

Le management par le stress : on sait maintenant que cela ne fonctionne pas.

J’ai auditionné 80 personnes pour le rapport et je peux vous dire qu’il y en a qui doivent retourner à l’école des sciences sociales et des sciences humaines ! Il faut repartir sur l’idée que les gens sont la principale ressource de l’entreprise.

Et le CHSCT a été ghettoïsé, il faut le ré-évaluer, lui donner de vrais moyens, pas juste 2 heures par ci par là. »

Michel Bodin, Directeur des interventions à l’unité territoriale de Paris, et donc représentant de l’Inspection du travail, n’avait pas pu venir mais c’est Me Agnès Cloarec-Mérendon qui a commenté sa présentation Powerpoint.

Michel Bodin, Directeur des interventions à l’unité territoriale de Paris (Inspection du Travail) : « Quand il n’y a pas de plan de prévention, l’entreprise est plus lourdement sanctionnée ».

« De plus en plus d’inspecteurs du travail sont invités aux réunions des CHSCT.
On constate une augmentation des plaintes.
Les inspecteurs du travail sont de plus en plus saisis par les salariés à titre individuel, avec des certificats médicaux, sur du harcèlement moral et souvent dans le cadre de restructurations au sens large (par exemple : la réorganisation de la SNECMA).
Quand il n’y a pas de plan de prévention des RSE et du harcèlement dans l’entreprise, celle-ci est plus lourdement sanctionnée par la Justice quand les salariés se plaignent.
Une enquête de l’Inspection du Travail peut également être demandée par le CHSCT.
Les actions de l’inspecteur du travail sont :
- Une lettre d’observation à l’entreprise.
- Une mise en demeure.
- Un signalement au Procureur de la République.
- Ce qui entraine en général un procès verbal du Parquet et une procédure pénale contre l’entreprise. »

Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychothérapeute est ensuite intervenue de façon brillante et novatrice. Elle conseille à la fois les victimes et les entreprises, ce qui montre bien que cette posture (qui est aussi la mienne) est tout à fait possible et pas incompatible.
L’intérêt de son intervention consiste dans le regard d’un psychiatre sur le rapport entre les changements sociaux actuels et les changements psychiques induits sur les individus.

Dr Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychothérapeute : « La morale et l’efficacité se rejoignent ».

« Le harcèlement moral est bien défini par le législateur mais pour les autres souffrances, c’est moins précis.
Souffrances au travail : le terme dérange, mais c’est une réalité. Je vois des gens désenchantés. Je vois aussi des dirigeants qui sont dans le déni.
Les personnes sont devenues fragiles parce que le monde a changé et notamment le monde du travail, on constate donc des changements dans les personnalités. Aujourd’hui, il y a moins de névrosés qu’avant, on voit surtout des déprimés. La névrose des années 1960 c’est fini, maintenant c’est surtout la dépression que l’on constate.
Rappelons que l’on évalue à 50 les raisons d’un suicide.
Cependant, on ne doit pas se déresponsabiliser en accusant la fragilité des personnes.
Les personnalités actuelles sont :
- intolérantes à la frustration.
- dans un registre narcissique.
- dans la dépendance (Internet, sexe, alcool) et déprimées.
- dans un registre pervers.
Les relations se sont durcies avec l’augmentation de la perversion.
Les personnes disent : « Je ne suis pas entendu, je ne suis pas reconnu, on est seul, je n’ai pas de réponse quand je dis quelque chose dans mon travail ».
Dans les entreprises, on veut des gens formatés, qui soient tous les mêmes. La personne est rejetée si elle veut faire reconnaître sa personnalité.
Il y a de plus en plus de dureté dans les relations entre les personnes.
Chacun est inquiet pour son poste. Il craint le coup bas du collègue qui est devenu un rival.
Avec les nouvelles technologies, il faut s’hyper-adapter, par exemple il faut tout le temps changer de modèle de téléphone portable, acheter le dernier Smartphone, cela ajoute de la pression.
Il y a un manque de respect et de reconnaissance, une perte de sens aussi à cause de procédures de travail de plus en plus complexes qui viennent d’en-haut, qui sont élaborées dans des cabinets de conseil, loin des personnes : et les personnes en ont marre d’être déresponsabilisées.
Il ya donc moins de névrosés mais on constate une augmentation des personnes qui sont dans l’image car l’apparence est vendue par les médias. Ce qui compte, c’est le résultat immédiat, pas le long terme.
Les entreprises doivent donc adapter le management aux personnalités de leurs salariés. Et il faut aider les managers à adapter leur management à cela.
L’entretien d’évaluation, par exemple, est dans des problématiques de performance, il faut fournir. On ne dialogue plus avec le salarié, on coche des cases. Le problème, c’est que si le salarié ne rentre pas dans la case, il ressent une agressivité de l’évaluateur, et donc on constate la détresse du salarié évalué.
Certains managers ne sont pas faits pour manager. Par exemple, j’ai eu un patient, un cadre, qui était harcelé par ses subordonnés parce qu’il ne savait pas manager. Il est devenu boulanger après une dépression grave. Maintenant, il est heureux.
Il faut en finir avec l’élitisme. On ne veut que le top niveau, les hauts potentiels. Mais on n’est que des humains. Et il y a les soucis personnels qui fragilisent.
Quand un salarié a des soucis à côté, ce n’est pas entendu dans l’entreprise. Donc les salariés masquent cela.
On est dans un monde où les conflits sont escamotés. On est dans la communication feutrée, on ne dit plus ce qui ne va pas.
Mais il faut le dire en restant dans le registre professionnel, et ne pas faire d’attaques personnelles.
A long terme, la morale et l’efficacité, ça se rejoint.
Il faut réintroduire le respect et être heureux d’aller travailler. Cela entraine la performance économique. »

Question dans la salle : « Je suis manager et je voudrais savoir comment dire non aux jeunes et comment leur dire quand ça ne va pas ? ».

Réponse du Dr Marie-France Hirigoyen : « Ce sont les conséquences de l’éducation mal comprise de Françoise Dolto. Parmi les jeunes il y a beaucoup de personnalités narcissiques qui, à la fois, ne supportent pas la frustration et les limites, mais en même temps, cela les rassure d’en avoir.
Il faut demander le respect de la part de ces personnes qui se sentent attaquées. On doit prendre le temps de s’expliquer. Le manager doit avoir de la disponibilité pour cela et être ferme sur le cadre.
Il manque des lieux d’échange dans l’entreprise, au lieu de rajouter des procédures complémentaires. Il faut créer des lieux où les gens pourraient s’exprimer. »

Vous êtes un dirigeant d'entreprise ou un DRH et vous voulez aller plus loin que vos concurrents dans la prévention et la gestion du harcèlement moral afin d'éviter de lourdes sanctions pénales en cas de plainte d'un salarié ?
Vous êtes un salarié en souffrance au travail ou en butte à du harcèlement moral individuel, managérial ou institutionnel ?
Entreprise ou salarié, vous souhaitez mettre en place une médiation pour régler un conflit lié à du harcèlement moral, comme l'ANI de mars 2010 le préconise ?
Contactez-moi : je peux vous aider ! C'est mon métier.
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samedi 20 novembre 2010

Interview dans Le Progrès : DRH, comment lutter contre le harcelement

J'ai été interviewée récemment par le quotidien Le Progrès de Lyon sur le harcèlement moral. Félicitations et remerciements à la journaliste Céline Boff qui fait une excellente synthèse sur le sujet.

DRH : comment lutter contre le harcèlement
publié le 09.11.2010

www.leprogres.fr

http://www.leprogres.fr/fr/permalien/article/4112191/DRH-comment-lutter-contre-le-harcelement.html



Ressources humaines. Au printemps, syndicats et patronat ont signé un accord détaillant les mesures à instaurer pour prévenir le harcèlement. Elles ont été rendues obligatoires cet été par un arrêté du ministère du Travail. Les DRH doivent se mettre au boulot.

Depuis 2008, 58 salariés de France Télécom se sont donné la mort. Des journalistes ont enquêté. Et ils sont tombés sur Next. Next ? C'était le nom du plan lancé par Didier Lombard en 2004, lors de son arrivée à la tête du groupe. Son objectif ? Inciter au départ 22 000 salariés.

Comment ? En les pressurisant, en les déplaçant, en les poussant à la faute… Des employés ont été formés à ces méthodes. Documents à l'appui : des courbes détaillant les phases psychologiques par lesquelles passeraient les salariés (révolte, tristesse, résignation) leur ont notamment été remis. Le plan Next, ou comment instituer le harcèlement moral comme modèle managérial… Depuis, la problématique est plus que médiatisée. Le harcèlement en entreprise est devenu un véritable phénomène de société. Quitte à tout mélanger.

Comprendre la situation

Me Mélanie Chabanol, avocate au barreau de Lyon, le concède : « Dès que les salariés vivent mal une situation, ils emploient le mot « harcèlement ». Mais la souffrance au travail n'est pas toujours synonyme de harcèlement, pas au sens de la loi en tout cas ». Mais alors, qu'est-ce que le harcèlement ? Si plusieurs définitions coexistent, il est déterminé par le caractère « répété » des agissements. « Un seul fait, aussi abominable soit-il, ne constitue pas du harcèlement », précise Me Chabanol, qui ajoute : « Il est sans doute intéressant de définir ce que n'est pas le harcèlement. Par exemple, il n'est pas le fait d'être appelé une fois de temps en temps chez soi le soir, il n'est pas le fait de recevoir une lettre pendant son arrêt maladie, il n'est pas non plus le fait de ressentir une pression pour effectuer des heures supplémentaires ».

Mais attention : il incombe à l'employeur de prévenir le harcèlement et la violence au travail. « Il existe désormais un lien étroit entre l'obligation de sécurité et de résultat et le harcèlement », insiste Me Pesson, avocate au barreau de Lyon.

Rédiger une charte de référence

L'accord interprofessionnel du 26 mars 2010 est venu préciser les outils qui permettent à l'employeur de prévenir le harcèlement. La priorité ? Rédiger une « charte de référence », qui sera annexée au règlement intérieur. « Ce document doit définir les notions de harcèlement et de violences au travail et proposer un cadre pour leur identification, leur prévention et leur gestion. Il s'agit d'établir les procédures à suivre si un cas de harcèlement survient », détaille Cécile Pesson.

« Le WBI, association américaine spécialisée depuis 10 ans dans la prévention du harcèlement, conseille d'établir une liste des comportements interdits dans l'entreprise. Il est judicieux d'inclure une telle liste dans la charte », estime Sophie Soria-Glo, dirigeante du cabinet Le Nouveau coaching éthique.

Former les responsables hiérarchiques

Au titre de la prévention, il faut également prévoir la formation des responsables hiérarchiques aux bons comportements managériaux.

Mettre en place une médiation

Un salarié, une organisation syndicale ou une institution représentative du personnel vous alerte sur un cas de harcèlement ? « L'inertie est totalement à proscrire », prévient Me Pesson, « l'absence de réaction pourrait peser lourd dans la balance en cas d'action prud'homale, et ce, même en présence de faits de harcèlement discutables ». L'employeur doit prouver qu'il a pris toutes les mesures nécessaires. À commencer par le lancement d'une enquête interne et la mise en place d'une procédure de médiation.

Accompagner le salarié

L'employeur veillera également à accompagner le salarié. « La victime doit être aidée et soutenue psychologiquement, et maintenue dans son emploi », insiste Sophie Soria-Glo.

« Souvent, les directions mutent la victime dans un autre service », explique Mélanie Chabanol, « c'est une erreur : toute décision prise par rapport à un salarié qui subit des agissements relevant du harcèlement est nulle ».

« Le gros problème, c'est que les dirigeants ne veulent pas désavouer le management », estime Sophie Soria-Glo. Prudence toutefois, car comme l'indique Cécile Pesson, « l'employeur doit prendre les mesures adaptées contre l'auteur d'agissements de harcèlement ou de violences ».

Avec l'accord interprofessionnel de mars 2010, « la présomption du harcèlement va nécessairement se trouver facilitée pour le salarié si l'employeur n'a pas mis en place ces différents outils », insiste Me Pesson. Sachez qu'en cas de recours au Conseil de prud'hommes, les juges pourront toutefois se montrer plus cléments envers des entreprises de petite et moyenne taille, à condition qu'ils soient convaincus de la bonne foi du chef d'entreprise dans la gestion des faits.

Céline Boff, journaliste au Progrès de Lyon


Témoignage : « Il s'est véritablement acharné sur moi »

Joëlle, 27 ans, journaliste, a été victime de harcèlement moral pendant un an et demi. Elle témoigne « Ça a commencé en 2008… Dès mon arrivée dans cette rédaction du secteur audiovisuel.

J'étais là en tant qu'apprentie. Je pensais que mon chef allait me transmettre son savoir… Il m'a tout de suite expliqué qu'on lui avait imposé ma présence et qu'il ne voulait pas de moi. J'étais la plus jeune, je débutais, je ne pouvais pas me permettre de lui répondre…

Lui était un homme frustré, placardisé, proche de la retraite. Il s'est véritablement acharné sur moi.

Des exemples ? Lors des réunions, il parlait toujours de moi à la troisième personne, comme si j'étais absente. C'était comme ça qu'il me donnait mes tâches, avec des phrases du type « Et la Joëlle, elle pourrait faire ça... », sans jamais s'adresser directement à moi, ou même me regarder. Parfois, je proposais des sujets. Toujours sans me regarder, mon chef les validait… et les confiait à d'autres journalistes.

Je me souviens de ce jour où il a lu mon CV devant l'équipe. Il s'esclaffait : « Joëlle a un bac +2 ! Mais comment on peut recruter des personnes qui ont seulement un bac + 2 ! ». Les journalistes gardaient le nez dans leurs dossiers. Pas un n'est intervenu.

Ça, c'était la partie la plus cool. Le plus dur, c'est que j'étais toute seule. Je n'avais pas de tuteur. Personne n'était là pour m'apprendre le métier, et c'étaient mes premiers pas dans le journalisme. Il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas pleuré dans les toilettes.

Au bout d'un an et demi, à bout de nerfs, j'ai dit à mon chef : « Ça ne va plus se passer comme ça, je ne suis pas ton esclave ! ». Ça a dégénéré. Je suis partie de son bureau et je suis montée à l'étage de la direction, en larmes.

Un autre chef m'a alors écoutée. Et a pris les choses très au sérieux. Il faut dire que les suicides chez France Télécom faisaient la Une de l'actualité et que notre CHSCT (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail) s'inquiétait de cas de souffrance au travail dans différents services de la chaîne.

En moins d'une semaine, on m'a changé de service. J'ai enfin pu respirer, et découvrir le métier. J'aurais dû en parler plus tôt, mais j'avais peur. Que ça me retombe dessus, qu'on me catalogue comme une « emmerdeuse ». Et puis, je n'avais plus confiance en moi, je ne me sentais plus capable de rien. Un journaliste m'avait dit : « Mets-toi au Prozac, ici, tout le monde en prend ».

Dans ce milieu du journalisme réputé difficile, ça paraissait presque normal d'en baver… Je ne savais plus où j'en étais. J'étais mal, mais c'est bien plus tard, des mois après cette expérience, que j'ai compris que j'avais été victime de harcèlement. »

Recueilli par C.B.


Quand le pénal s'en mêle

La juridiction prud'homale n'est pas la seule à même de statuer sur le harcèlement moral au travail. Une plainte peut également être déposée. Selon l'article L1155-2, qui est la disposition pénale du Code du travail, « les faits de harcèlement moral et sexuel sont punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros ».

Cependant, la voie pénale est rarement utilisée. Notamment parce que si, au civil, la charge de la preuve est mixte, ce n'est pas le cas au pénal : il appartient au parquet ou à la partie poursuivante de prouver la culpabilité. « Et la preuve est, dans ces affaires, vraiment délicate à rapporter…

Comme le doute profite toujours à la personne mise en cause, les victoires sont extrêmement rares », détaille Me Mélanie Chabanol. Par ailleurs, un succès aux prud'hommes n'implique pas forcément une victoire au pénal. « Je me souviens du cas d'une salariée du secteur bancaire qui avait obtenu gain de cause devant la juridiction prud'homale, mais dont la plainte a été classée sans suite », révèle Me Chabanol, qui ajoute : « Il faut de plus être très prudent : lorsque l'on dépose plainte, il y a toujours le risque d'être accusé par la suite de dénonciation calomnieuse… ».

Parfois, cependant, ça marche. En 2009, le tribunal correctionnel de Lyon a créé l'événement en condamnant la société de messagerie DHL et l'un de ses cadres à respectivement 15 000 et 3 000 euros d'amende. Trois salariées du site DHL de Vénissieux avaient porté plainte contre le cadre, qui les pressurisait, les injuriait et avait pris l'habitude d'appeler les femmes de son service « des femelles ». C.B.


« Cela coûte cher à l'entreprise »

3 questions à… Sophie Soria-Glo, dirigeante du cabinet Le Nouveau Coaching Ethique et présidente de l'association Isthme-Recherches

Comment les entreprises gèrent-elles le harcèlement au travail ?

Le plus souvent très mal, ou pas du tout. Et pourtant, les mesures de prévention contre le harcèlement et la violence au travail, issues de l'accord interprofessionnel du 26 mars dernier, ont été rendues obligatoires le 31 juillet par un arrêté du ministère du travail… Mais cet arrêté est passé complètement inaperçu. Si les entreprises ne respectent pas ces recommandations et qu'elles se retrouvent confrontées à un cas de harcèlement, elles auront bien du mal à organiser leur défense…

Que pouvez-vous nous dire sur les harceleurs ?

Il existe différents profils, du pervers narcissique à l'ambitieux prêt à tout. Dans 5 % des cas, c'est le supérieur qui est agressé par un subordonné. On appelle ce phénomène du « harcèlement vertical ascendant », je le nomme pour ma part le syndrome « Iznogoud », l'employé qui veut devenir calife à la place du calife. Parfois, c'est la culture même de l'entreprise qui favorise le harcèlement moral. France Télécom est l'exemple le plus significatif de ce « management immoral ».

Dans tous les cas, le harcèlement moral coûte très cher à l'entreprise, puisqu'il est source d'absentéisme, de turnover (rotation de l'emploi, ndlr), de démotivation, d'accidents du travail, de procédures judiciaires…

Aux États-Unis, une étude réalisée en 2007 par le Workplace Bullying Institute révèle que le harcèlement moral coûte, chaque année, 24 millions de dollars à chacune des entreprises du Fortune 500…

Quelles solutions proposez-vous ?

Les entreprises doivent désormais rédiger une charte de référence, dans laquelle est détaillée la procédure à suivre en cas de harcèlement. À travers Isthme-Recherches, nous aimerions travailler avec des DRH à la rédaction de cette charte. Nous sommes prêts à le faire bénévolement pour ensuite délivrer gratuitement ce document à toutes les entreprises qui nous en feraient la demande. C'est un appel que nous lançons.

Recueilli par C.B.


Les clefs pour comprendre

1 Qu'est-ce que le harcèlement ? Il existe trois définitions.

Celle du Code du travail, article L1152-1 (2002) : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Celle du Conseil économique et social (2001) : « Constitue un harcèlement moral tous agissements répétés visant à dégrader les conditions humaines, relationnelles, matérielles de travail d'une ou plusieurs victimes, de nature à porter atteinte à leurs droits et leur dignité, pouvant altérer gravement leur état de santé et pouvant compromettre leur avenir professionnel. »

Celle de l'Accord national interprofessionnel (2010) : « Le harcèlement survient lorsqu'un ou plusieurs salariés font l'objet d'abus, de menaces et/ou d'humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail. »

2 Quelle est la situation ?

En France, un salarié sur six estime être l'objet de comportements hostiles dans le cadre de son travail. C'est ce que révèle l'enquête Sumer, réalisée en 2003 par la Dares et la DGT (Inspection médicale du travail). Cette enquête démontre que les femmes et les salariés les moins qualifiés sont plus exposés que les autres. A contrario, les salariés des TPE de moins de 10 salariés évoquent plus rarement ce type d'agissements. Selon une étude menée par l'INRS en 2006, 65 % des cas de harcèlement moral se terminent par une perte d'emploi pour le salarié harcelé. En 2004, soit deux ans après la loi sur le harcèlement de 2002, 12 % des entreprises françaises avaient instauré des formations, 11 % avaient élaboré une charte d'entreprise, 5 % avaient mis en place des procédures d'alerte (source : ANDRH). Cependant, seules 25 % des entreprises considéraient que la loi avait eu un impact sur les pratiques. 5 % des Européens estiment avoir été victimes de harcèlement moral au travail (enquête 2005).